Camille Alena : Introspection / Rétrospection

16/11/2018

Camille Alena et ses chœurs

INTROSPECTION

Nos grands-parents viennent d'ailleurs. Nos parents viennent d'endroits que nous pensons connaitre, connaissons ou imaginons. Et puis nous venons. Incertains de l'origine, peureux de l'arrivée, nous continuons à faire un pas l'un après l'autre, avec toujours un peu, le risque de tomber.

J'ai toujours adoré, étant enfant, puis au début de mon adolescence, regarder des films avec des personnages de mon âge. Cela a commencé avec un film intitulé « Richard au pays des livres ». A y repenser, il était mauvais. En visionnant l'œuvre de Camille Alena, « Playlist » (Hight Art Paris, 2018)[1], j'ai ressenti la même émotion que 15 ans auparavant. J'aurai aimé moi aussi, faire partie de ce groupe d'adolescents avec lesquels Camille a travaillé.

L'introspection est un travail philosophique autant que psychologique. C'est un processus de l'esprit qui nous oblige à nous arrêter sur nos états et nos sensations. L'introspection est un exercice de replacement du sujet. Le sujet c'est nous. Enfin, celui qui pense. JE. Celui qui pense ... Mais qui pense, Camille, lorsque les personnages arrivent ? Qui pense, Camille, lorsque les visiteurs regardent ses œuvres ? L'introspection n'est plus un travail. Il devient outil.

Moi aussi je voulais en être. C'est donc cela. Camille Alena créé des communautés au seins desquellesles personnes qui y jouent toutes un rôle central sont dotées d'une importance inédite. Camille creuse en eux, va chercher les détails les plus précieux, les trésors les plus coûteux des vies de ses protagonistes pour en faire la matière première de son film. L'introspection chez Camille passe à travers les autres. Ce qu'elle n'a pas vu ou pas vécu, ses héros choisis l'expérimentent pour elle. Ils sont exceptionnels. Les communautés de Camille sont « incluantes », elles proviennent d'une curiosité sincère et d'un regard bienveillant de la part de l'artiste sur les personnes auxquelles elles décident de s'attacher. C'est une introspection « négative », remplie par celles de ses sujets, réels ou inventés. Dans ses récits filmiques,aucun détail et aucunes anecdotes n'est ridicules, elles sont toutes importantes et sublimées. Même au risque de présenter un monde à l'apparence trop parfaite.

Il y a des souvenirs qui collent. Qui ont un goûts particuliers, qu'on ne raconte qu'à l'aide d'adjectifs plus précis les uns que les autres pour ainsi tenter d'entre rendre PARFAITEMENT compte. Il y « je », il y a « nous ». Il y a tous ceux qui étaient présents à cette fête, pourtant, « je » ne me souvient que du gâteau par terre.

Dans son film « We Win or We Die Again » (Swiss Art Award, 2018)[2], on retrouve certains des adolescents rencontrés dans « Playlist ». Ils ont un peu changé. Certains. Les cheveux peut-être. Les adolescents ne sont pas sur-connectés, agressifs, paumés, dépressifs, sexualisés ou violents dans ses films. Non. Ils sont savants, passionnés, généreux et pudiques. Il n'y a rien àdénoncer, mais la réflexion s'active pour le regardeur à chaque fois que l'on se surprend à rire et se projeter. Cette projection, qui se met en route de manière parfois totalement inconsciente est rendue possible grâce aux différents ingrédients que Camille Alena cultive et maîtrise. Il s'agit du montage, qui commence à s'inscrire dans une temporalité cinématographique, délaissant les longs plans propres souvent aux films d'arts. Cela concerne également la mise en place du son et de la musique, car en plus d'être un sujet et un acteur en soit de la pratique de l'artiste, la musique est également souvent, la structure de ses films. Souvent, je n'aime pas les films d'artistes qui font intervenir trop de musique, j'ai peur que cela devienne un clip. Pas avec Camille, car la musique vient à nous manquer si elle disparaît trop longtemps tant elle lie les séquences et les dialogues entre eux.

Camille observe, écoute, comprend ce qu'elle n'a pas, pour le retrouver dans le réel. Ses productions qu'elles soient sculpturales, picturales, éditoriales ou filmiques sont autant de chapitres créés par l'artiste pour donner vie à des vies qu'elle ne vivra jamais et que seul la pratique artistique lui autorise à développer. Tout dans son travail devient dès lors récit. Camille Alena est un boucher dans les pièces « We Win Or We Die I et II[3]» (Corner College Zurich,2017, Wallriss Fribourg 2018). Elle est également grande intellectuelle dans la veine d'une Anaïs Nin pour la série de vidéos « God, I don't even know your name[4] »(Curated by Lolita, 2018). Puis elle est aussi chercheuse pour « Manor[5] », (Clark House Initiative, 2016-17), anthropologue (« Orange de Naples[6] », Hard Had Genève, 2016), programmatrice (« Modern Ace or the seven days radio broadcast[7] »,Anti University, 2018)... Camille est tout ce qu'elle ne pourra jamais être.

Un oasis. Les odeurs.

Les artistes minimaux ont dit qu'il ne fallait laisser aucunes traces autobiographiques dans leurs œuvres. Ils ont échoué. Tony Smith a créé, un cube, de 182,9 cm de côté, en métal, nommé DIE.

RETROSPECTION

En pensée de soi, replonger dans le passé. Voilà ce que semble vouloir dire une rétrospection. On n'autorise jamais les artistes de moins de 40 ans à parler de leurs travaux sans que ceux-là fussent taxer de chef d'œuvres ou regroupés sous une période elle-même inévitablement classée.

Camille pourtant est artiste depuis de longues années, et si elle pense l'introspection, c'est avant tout à travers ses productions passées. Ceux qu'elle a oubliés, qui lui reviennent en mémoire d'un coup, (ses travaux dont elle a honte, ceux dont elle est fière.) Ce sont toutes ces productions, pensées aujourd'hui en rétrospection qui lui permettent de penser l'introspection.

« Je travaille toujours en écoutant la radio. »

Pourquoi avoir réalisé tout cela ? Par intérêt pour les gens sans aucun doute. Lorsque converge de l'admiration et de la curiosité pour une personne, le scénario, la réflexion et la production se met place pour l'artiste.

Parfois, on entretient des liens secrets avec des gens morts que nous n'avons jamais connu, ce sont les acteurs de nos pensées intimes. Personnellement, je pense trop souvent à Guillaume Depardieu, je me rappelle de moments que je n'ai jamais vécus avec lui. Dans ces moment-là, c'est comme si j'étais dans état introspectif et rétrospectif d'une vie imaginée. Cela ne veut pas dire qu'elle est fausse. J'ai vécu l'enterrement de Guillaume Depardieu, pourtant je n'y étais pas.

Depuis que je connais Camille, je l'ai imaginée amie avec une actrice du cinéma français. Je les imagine prendre le thé et discuter. Je visualise avec quelle panache Pascale essaye de convaincre Camille d'aller danser et comment cette dernière se défend d'être fatiguée. Camille n'aime ni la foule, ni la fête. Pascale, c'est Pascale Ogier. Figure spectrale de la génération Növo, new, last, past, post, emblème des Néo punks en somme. Pascale Ogier est morte à 25 ans.

D'un souffle au cœur.

Ogier était l'héroïne Rohmerienne par excellence. C'est avec Camille que je découvre, grâce au courts-métrages du réalisateur français que l'on regarde un soir à Londres, que celui-ci a tourné une de ses scènes en bas de chez ma mère à Montparnasse. Ca y est, je me retrouve l'héroïne d'un court métrage moi aussi, grâce à ce café, toujours en place. Quand j'y vais, à côté de la station Edgar Quinet, j'imagine que quelqu'un me film, alors je fais attention.

Jarmusch : «"Pascale combinait la plus sensible féminité, la beauté et l'esprit d'un criminel intellectuel. Toute autorité, tout ce que l'on tente d'imposer à votre cerveau lui faisaient horreur et la mettaient en colère. Pas de contrôle sur Pascale. Elle était très sélective, mais seulement pour pouvoir échapper à ce contrôle. On ne rencontre pas souvent une personne aussi jeune et aussi avisée du monde. J'aimais sa culture, je l'aimais, elle : cette façon de se comporter en criminelle. Elle était une personne. Elle était comme personne."[8]

C'est certain à présent, elles auraient été amies. Camille change, évolue, voit les choses en grand. Au printemps, elle présentera une pièce avec plusieurs protagonistes en mouvement, le projet évoluera au fil des jours. Un rêve réel de metteur en scène. Puis, Camille partira avec l'un de ses protagonistes cet été en Amérique amorcer un nouveau chapitre. La Floride. Un rêve possible d'un réalisateur de films. Il n'y a rien d'impossible avec Camille. Le travail n'est pas labeur, le travail chez elle est rêve en développement, enfantement.

Camille laisse cacher ce qu'elle trouve trop violent, trop difficile, car il se pourrait qu'elle aussi ait peur de souffrir. Pour rien. Protéger ses idées, ses acteurs, ses équipes et son entourage, Camille s'y adonne chaque jour, car si ceux-là se retrouvent blessés, alors il n'y aura plus de matière à faire faire et à penser. Le monde doit encore pouvoir essayer d'être parfait, sinon il ne servirait à rien de continuer d'essayer.

[1]/2https://www.camillealena.com

[2]

[3]/ 4 / 5 / 6 / 7 https://www.camillealena.com

[8]https://o.nouvelobs.com/pop-life/20141024.OBS3105/pascale-ogier-fantome-de-la-pleine-lune.html

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